Deadlands, panorama subjectif (3/3)
Par Ben « le puzzle »
On recharge ?
La suite de l’histoire, c’est-à-dire après 1876 et les offensives de Novembre, quand on reste en VF, on la trouve dans Reloaded.
La chronologie s’est déroulée et nous sommes en 1879. L’intro du jeu donne le ton et on découvre ce qui s’est passé pendant les années 1877 et 1878. Le livre est beau, tout en couleur, couverture rigide avec le dessin iconique de Brom (Stone pour ne pas le nommer). Le style est assez différent de la précédente version moins bédé cheap et plus steampunk pour coller des étiquettes. Bon.
Le style tente de préserver l’ambiance mais fait un peu flop. On ne sait pas trop qui nous parle et on a parfois l’impression que le narrateur se force à utiliser des expressions du crû. L’argot fait plus carton pâte. Pas rédhibitoire.
Il y a beaucoup de coquilles quand même. Admettons.
Le système de magie est le même pour tout le monde… Boum ! Ah nan, la tranche ! Le livre tombe des mains. Déjà les persos ne sortent pas de l’ordinaire des héros et savent tous plus ou moins faire les mêmes choses mais ils ont fait un système unifié pour la magie ! Huckster, prêtre, savant, shaman… Et puis le système en lui-même : une carte point barre pour gérer l’initiative. Secoué direct, sans jet de vigueur. Suppression des 150 compétences et des jets croisés. Non pas possible tout ça. Déjà la fin de la guerre de Sécession, la stabilisation du Deseret, bof, bof, mais le système m’achève totalement. J’ai découvert Savage worlds avec Reloaded. J’aime beaucoup ce système. Pour faire plein d’autre chose. Mais c’est pas Deadlands du coup, c’est Reloaded. Un autre jeu.
Les auteurs de Reloaded ont choisi une direction bien plus nette. L’Histoire est assez loin dans cette itération. Nous avons avancé dans le temps et la technologie est plus présente, les abominations plus titanesques et les conflits plus meurtriers. Cette version n’est pas pour moi. Trop orientée steampunk et trop orientée tout court : j’ai l’impression que l’univers du jeu Deadlands a rétréci son champs et a perdu de son piquant. L’édulcoration atteint parfois des sommets, la version classic n’étant déjà pas un modèle de subversion (l’esclavage notamment ou la résolution de la Guerre de Sécession).
En VO, il s’agit d’un univers pour Savage worlds. Et comme ont existé une version D20, une version GURPS et encore d’autres que j’oublie, ça a la couleur de Deadlands, ça a l’odeur de Deadlands, mais ça n’est pas Deadlands.
Trop de roche fantôme dans le moteur
Il faut bien admettre que le bon vieux système de Deadlands classic paraît aujourd’hui un peu lourd avec ses points de souffle, son nombre de blessures localisées, ses coordinations et ses concentrations, ses 5 cartes à tirer après ses trois jets de dés… Mais ça me semble faire partie intégrante du jeu. On a des tonnes de matos, des jetons de poker, des cartes, 5 sets de dés complets chacun et on utilise tout. Je comprends que des joueurs soient rebutés, mais enlever tout ça, ça change l’ambiance à une table. Un jeu qui plaît à tout le monde n’est finalement exceptionnel pour personne.
Deadlands est un jeu qui se mérite mais qui récompense dignement celui qui s’y consacre. Reloaded est bien plus rapide d’accès, beaucoup plus fastueux mais restreint en partie le côté folklorique de la table. Le marshall est très cadré, les réponses sont dans le livre. Ce qui paraîtrait aller dans le sens d’une simplification ou d’une accessibilité plus importante est en réalité à double tranchant : il n’y a pas du coup à chercher de justification, ni son absence, mais le marshall doit connaître sur le bout des doigts une somme phénoménale d’informations, le jeu intégrant les éléments de chronologie de la première version, si il veut rester dans les clous fixés par l’auteur. Malgré la simplification importante du système, ça peut rebuter le nouveau venu.
Pour finir sur Reloaded la gamme VF s’est récemment enrichie d’une campagne de création française: Stone cold dead. Elle a dû demander du travail à son auteur, mais elle n’est pas entièrement satisfaisante. Le niveau de langue, le style et la qualité de rédaction ne sont pas ceux attendus d’une production léchée. J’entends que le niveau financier ne permette pas d’embaucher des relecteurs qui reprendraient au moins les tournures les plus malheureuses, mais, de fait, on se retrouve à la lecture avec un sentiment mitigé. C’est dommage le fond n’est pas mauvais et la campagne réserve deux trois scènes épiques dont je ne doute pas qu’elles feront leur petit effet. La partie investigation est moins croustillante a priori que la partie action, plus classique (après les Justiciers seuls savent ce qu’en feront les joueurs). Je ne l’ai pas encore faite jouer, je ne sais donc pas ce qu’elle donne autour d’une table. Elle demande du travail et beaucoup d’accommodation, certains arguments étant un peu légers pour décider un gang à s’investir.
Globalement, c’est un ensemble de scénarios qui se tient, c’est donc une initiative louable et je tenterai probablement l’aventure (en classic, bien sûr). Mais pourquoi proposer une création, avec les risques que ça comporte, quand les campagnes américaines sont très réussies ? Quitte à publier des scénarios, n’aurait-il pas été malin de publier à moindre frais des traductions qui avaient fait leurs preuves ? À l’occasion du foulo-préco-ancement participatif, l’impression en VF des deux premiers tomes (The Flood et The last Sons) étaient une certitude. C’est pour bientôt, si ce que dit Couloir est vrai.
Ol’ Timer (version 2017: [mode vieux con : on])
Voilà un petit tour d’horizon dont l’unique but est de vous donner envie de mettre une santiag dans le Weird West, qu’il soit rechargé ou plus classique. Ce jeu représente ce qui fait pour moi l’essence du jeu de rôle : le roleplay est à part égale avec un système de règles foisonnant qui sert en permanence de pendant ludique aux élucubrations des joueurs dans un univers suffisamment précis pour qu’il s’y passe toujours quelque chose et assez vaste pour ne jamais brider l’imagination du Marshall et de son gang.
Si on exclut la dimension technique du jeu, son univers qui mélange un peu tout en le liant avec l’Histoire permet vraiment aux scénaristes et aux héros en nous de se lâcher totalement et de passer de l’intime au grandiose en gardant une certaine cohérence.
Je ne sais pas si c’est le côté vieux con mais il n’y a donc pas vraiment de match entre Deadlands classic et Deadlands Reloaded, ce sont deux jeux différents et le premier remporte haut la main le duel à mon goût de old timer. Néanmoins si la facilité de prise en main et la clarification du background peut ramener quelques pieds tendres dans l’Ouest étrange, il serait dommage de s’en priver.
Deadlands est un jeu qui rayonne aux États-Unis bien au-delà du jeu de rôle. L’univers a été décliné en jeux de carte (Doomtown), en jeux de figurine (Great Rail Wars), en jeux de plateau (Battle for Slaughter Gulch), en roman (dime novel), des films et des séries multiplient les clins d’oeil et, à de nombreuses reprises, il a bien failli devenir une série et un jeu vidéo (il paraît que c’est « en cours »). Enfin, l’univers lui-même a été décliné dans les années 50 (Deadlands Noir, système SaWo), en post-apocalyptique (Hell on Earth, système 1.5 puis D20 puis SaWo) et dans l’espace (Lost Colony, SaWo) même si l’itération 1876-1880 reste la plus jouée et la plus emblématique. Il doit y avoir quelque chose de très culturel puisqu’en dehors d’un succès d’estime et d’une reconnaissance importante, le jeu a toujours fonctionné cahin-caha d’un point de vue commercial en France et aucuns de ces jeux n’a été édités en français (à part le très anecdotique Hell on Earth D20).
Je vais vous laisser avec une anecdote qui contredit mon propos (si , cherchez) mais prouve à quel point l’univers trouve sa cohérence tout seul : la campagne actuelle que je fais jouer et qui est de ma création repose sur les mêmes ressors narratifs que la campagne dont je fais mention plus haut (The Flood/Last Sons/Stone and a hard place/Good intentions). Comme je ne veux rien gâcher aux lecteurs/joueurs potentiels, je n’en dit pas plus. Mais arriver quasiment au même résultat sans avoir suivi ce qui se passait en version américaine prouve soit le manque globale de créativité de l’être humain, soit que l’univers de Deadlands tel qu’il est décrit au départ se suffit à lui-même.
Pour ceux que ça intéresserait, on trouve en ligne l’histoire de Deadlands et de Savage Worlds par son auteur Shane Hensley :Making Of SW.
La quasi intégralité des livres VO–classic, Reloaded, Hell on Earth, Noir et Lost Colony–est disponible sur le site de Pinnacle (https://www.peginc.com/) en .pdf et la version Reloaded est commercialisée en VF par Black Book Editions (https://www.black-book-editions.fr/catalogue.php?id=33)
Une belle critique et qui donne envie !
Reste plus que qu’a trouver un moment pour y jouer !
Un peu « caricatural » tout de même la partie description du système Reloaded. Les mêmes règles de base de magie pour tous, oui, mais les pouvoirs sont différents (même s’ils obéissent tous aux mêmes règles de pouvoir), les Atouts sont différents (et ils sont centraux dans ce système), bref, pareil sans être pareil quand même.
Sympathique série d’articles tout de même !
Belle critique, avec des avis construits.
De notre côté (j’entends pas par là joueurs et MJ), nous préférons la nouvelle édition au bémol près des « sorts » unifiés, effectivement.
Pour Stone Cold Dead, complètement d’accord, je donne mes idées de modification ici : http://www.lahiette.com/leratierbretonnien/index.php?n=Main.Deadlands
@Tournicoti: tant mieux, c’est le but. Arrête de bosser et viens jouer !
@Ghislain: Merci pour le commentaire. Certainement une part d’exagération mais deux choses:
-Je ne cache pas l’aspect parfaitement subjectif de ce tour d’horizon;
-Les persos sont de fait largement moins « typés » quand on sort des pouvoirs surnaturels. Et même là, le fait qu’un shaman et un savant fou utilise le même système est juste totalement rédhibitoire quand on est habitué à la version classic et qu’on cherche en jeu le côté crunchy d’origine.
Simple exemple:
Version Reloaded: le pied-tendre et le shériff tire une carte chacun pour l’init’… Au mieux le shériff en tire deux et choisit celle qu’il préfère (atout « vif comme l’éclair », il me semble).
En version classic: le pied-tendre à 2d4 en rapidité, le shériff 3d12, sachant que pour chaque raise (succès) le joueur tire une carte supplémentaire, le shériff sera dans 90% des cas bien plus rapide que le pied-tendre et pourra vider son chargeur quand le pied-tendre aura juste pris le temps de se planquer.
Quand tu as appris à jouer comme ça, passer à savage world est contre-nature :D.
Les atouts/handicaps sont tout aussi importants dans la version « classic », c’est un peu le « coeur » du système et ce qui est commun aux deux itérations.
Je chanterai bientôt les louanges de savage world dans un article sur les génériques (c’est très à la mode);).
@Le ratier bretonnien: Merci aussi pour le commentaire. J’ai bien aimé ton travail sur l’intrigue de Stone Cold Dead, mais à ce régime-là je suis presque tenté de dire que tu ne joues pas la campagne :D. Mais je suis tout à fait d’accord avec ta critique: ça aurait fait un très bon supplément de lieu avec quelques suggestions d’intrigues.
Et moi je l’ai payée 90€ (version de luxe…).
Vu ton pseudo, je glisse un second « teaser »: je fais jouer « L’Ennemi intérieur » à deux groupes (un in-extenso avec toute ma personnalité dedans et un version « light », juste « Mort sur le Reik » et « Le pouvoir derrière le trône » en version « dégraissées ») et je compte bien mettre un petit article avec un regard d’aujourd’hui sur cette campagne mythique. Toujours aussi exceptionnelle ou finalement dépassée ?